La Cour suprême du Canada se prononce sur l’application des lois provinciales aux activités ou entreprises fédérales

Le 30 mai 2025, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision tant attendue dans les affaires Opsis et Services maritimes. Dans un jugement unanime, elle a affirmé que la Loi sur la sécurité privée du Québec (« LSP ») était inapplicable aux appelants en vertu de la doctrine de l’exclusivité des compétences. La décision, signée par « La Cour », démontre que, même si la Cour suprême s’est parfois montrée critique à l’égard de cette doctrine, elle croit que cette celle-ci a définitivement sa place au Canada.
Cette décision est importante puisqu’elle clarifie la méthodologie à suivre pour déterminer si une loi provinciale s’applique à des activités ou à des entreprises relevant de compétences fédérales, comme les télécommunications, l’aéronautique, les banques ou le transport interprovincial ou international.
Principaux points à retenir :
- L’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences ne se limite pas aux contenus essentiels des chefs de compétence déjà reconnus par la jurisprudence;
- La sécurité des installations aéroportuaires et maritimes est au cœur de la compétence fédérale et, à ce titre, est à l’abri de toute entrave causée par des lois provinciales;
- La simple existence d’un régime de permis ne suffit pas à déclencher la doctrine de l’exclusivité des compétences. Ce pourrait toutefois être le cas si l’obtention du permis est soumise à des exigences déraisonnables ou à l’exercice d’un large pouvoir discrétionnaire;
- Pour déterminer si une loi porte atteinte au cœur de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement, les tribunaux peuvent tenir compte des effets de l’application de la loi, même en l’absence de preuve présentée à cet égard, et ce, que ces effets se soient matérialisés ou non. Ils peuvent également considérer les effets de la loi sur « l’élément vital ou essentiel d’une entreprise »;
- Lorsqu’une déclaration d’inapplicabilité visant uniquement les dispositions entravantes risque de modifier la nature du régime législatif voulu par le législateur, la réparation appropriée consiste à donner une interprétation atténuée à l’ensemble de la loi.
Contexte
Les trois appelants dans le présent appel – une entreprise offrant des services de sûreté aéroportuaire, une autre assurant des opérations de chargement sur des navires transatlantiques à partir d’un terminal, et un employé chargé de surveiller et de contrôler l’accès à l’installation portuaire – ont reçu des constats d’infraction leur reprochant d’avoir contrevenu aux dispositions de la LSP qui exigeaient qu’ils possèdent un permis pour exploiter une activité de sécurité privée. Les appelants ont contesté les constats d’infraction au motif que la LSP leur est constitutionnellement inapplicable en raison de la doctrine de l’exclusivité des compétences.
Analyse
À titre préliminaire, la Cour déclare qu'avant de déterminer si la doctrine de l'exclusivité des compétences s'applique, « il convient de s’assurer que les faits particuliers de l’affaire concernée sont visés par la loi litigieuse. » En l'espèce, la Cour conclut que la LSP s'applique aux activités de sécurité privée exercées dans des lieux « publics », comme les installations portuaires ou aéroportuaires.
La Cour examine ensuite la doctrine de l'exclusivité des compétences. Lorsque cette doctrine s'applique, les dispositions contestées demeurent valides, mais sont déclarées inapplicables aux matières qui relèvent du contenu essentiel de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement. Une loi provinciale est inapplicable lorsque (i) elle empiète sur le contenu essentiel d’un chef de compétence exclusif et (ii) cet empiètement constitue une entrave.
Dans le présent appel, la Cour conclut que le régime de permis mis en place par la LSP entrave le contenu essentiel de compétences fédérales. La Cour est d’avis que la sécurité aéroportuaire relève incontestablement du cœur de la compétence fédérale en matière d’aéronautique, alors que la sécurité des installations maritimes et de leurs opérations est au cœur de la compétence fédérale sur la navigation et les navires, même s’il n’existe pas de précédent jurisprudentiel à cet effet.
Deuxièmement, la Cour conclut que l'empiètement causé par la LSP constitue une entrave. La Cour affirme qu'elle ne peut se contenter d’examiner uniquement les dispositions relatives à l'obtention d’un permis, même s’il s’agit des dispositions en cause dans le litige. Les régimes de permis doivent généralement être examinés dans leur ensemble et d'autres aspects du régime peuvent devoir être considérés.
La seule existence d’un régime de permis ne suffit pas pour conclure à la présence d’une entrave déclenchant l’application de la doctrine de l’exclusivité des compétences. Toutefois, il pourrait y avoir une entrave si les exigences relatives à l’obtention d’un permis sont déraisonnables ou si l’obtention du permis est subordonnée à l’exercice d’un large pouvoir discrétionnaire ayant pour effet de donner à l’autre ordre de gouvernement le dernier mot sur la possibilité d’exercer des activités se situant au cœur d’une compétence exclusive.
En l’espèce, la Cour juge que certains aspects du régime de permis constituent une atteinte :
- Le pouvoir du Bureau de « suspendre, révoquer ou refuser de renouveler le permis d’agent d’un titulaire » lorsque ce dernier a, entre autres, « contrevenu aux normes de comportement établies par règlement. » La Cour note que le Bureau a le pouvoir d’assujettir les titulaires de permis d’agent à des normes de comportement dont lui seul détermine le contenu, et il lui revient d’évaluer si elles sont respectées ou non, quel que soit leur degré de généralité;
- Le pouvoir du Bureau de donner des directives à un titulaire de permis d’agence octroie au Bureau une large discrétion de dicter la manière dont le titulaire doit exécuter ses activités de sécurité privée;
Étant donné que les dispositions entravantes sont indissociables du tout cohérent que forme la LSP, la Cour conclut que la LSP dans son ensemble est inapplicable aux appelants.
Conclusion
À la lumière des principes énoncés dans ce jugement important, les entreprises fédérales devraient reconsidérer si elles doivent se conformer à certains régimes réglementaires provinciaux, en particulier les régimes qui prévoient l’obtention d’un permis, d’une autorisation ou d’une licence, les régimes qui confèrent un pouvoir discrétionnaire à un organisme provincial ou les régimes qui comportent des considérations liées à la sécurité.
Avis : Les auteurs ont représenté un intervenant dans cet appel devant la Cour suprême du Canada. Les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs uniquement.
Si vous avez des questions sur cette décision, contactez notre groupe de Litige et résolution des différends.
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